Brassaï (1899-1984) photographe français d'origine hongroise né Gyula Halász à Brașov, d'un père professeur de littérature française à l'université ayant fait ses études à la Sorbonne.


Il est le photographe le plus renommé de l’entre les deux guerres, le plus célèbre explorateur du ventre caché de la ville de Paris de jour comme de nuit, il ouvre une nouvelle voie dans la photographie, portant sa réflexion sur une réalité que chacun a devant les yeux, le jour, et qui mue lorsque la pénombre tombe. Il est « l'œil de Paris » comme le surnomme son ami Henry Miller.

« Je suis né en Transylvanie en 1899. Mon père était professeur de littérature française. Il a vécu à Paris qu’il aimait tant, et il a étudié à la Sorbonne. Quand j’eus cinq ans, mon père me fit venir avec ma famille à Paris pour un an. Je me souviens parfaitement de cette année magnifique. Mon père me disait toujours que je devrais vivre à Paris, il me le disait même quand j’étais tout petit. Mais comme nous étions en période de guerre entre l’empire Austro-Hongrois et la France et que j’étais hongrois, je n’ai pas pu venir à Paris. Je partis à Berlin en attendant et à Berlin j’ai rencontré Kandinsky et le groupe Sturm. Je devins donc peintre. J’avais appris la peinture à l’École des Beaux-Arts de Budapest et ensuite à Berlin. Je n’ai pas beaucoup réalisé d’œuvres en ce temps. J’étais admis pour deux ans. J’ai intégré l’académie de peinture de Berlin en 1921 et plus tard je suis enfin arrivé à Paris. Je n’ai plus peint pendant cinq à six ans, car la vie était trop passionnante et je l’ai vécue pleinement et ardemment. J’ai fait un peu de journalisme, écrivant pour des journaux allemands et hongrois pour survivre. En 1930 j’ai commencé la photographie et j’ai publié mon livre Paris la nuit. » Brassaï

Lorsque Brassaï arrive à Paris en tant que peintre, il a de suite le regard perçant et lucide, ses photos sont travaillées avec le même sérieux que s’il avait dû écrire un papier, il ne laisse rien au hasard, ni son cadrage, ni la lumière, il sait quel rendu la pluie, une ombre, la pénombre ou encore la brume donne sur ses clichés.

« Le surréalisme de mes images ne fut autre que le réel rendu fantastique par la vision. » Brassai

À partir de 1930, il arpente la capitale, de jour comme de nuit, muni de son appareil à plaques et de son flash au magnésium, il opère en jouant avec le noir pour inscrire les lieux dans des décors identifiables. Brassai piéton des rues de Paris est un révélateur du monde, il rend visibles aussi bien les quartiers que ceux qui les habitent. Son instinct, sa patience, font qu’il capte ce qu’il semble voir et entendre, une façade, des affiches placardées sur un mur, le tintement des verres, le bruit des lits d'un hôtel de passe, les choses cachées. Une flaque est pour lui une multitude de variations abstraites qui rythment une petite musique de nuit, les ombres qui enveloppent le pavé parisien ainsi qu'un passant qui l’enjambe. Il quadrille les lignes des trottoirs, le pavé mouillé des rues, les lueurs des becs de gaz, sculpte les colonnes Morris, se penche sur les phares d’automobiles déchirant le brouillard, imprime les reflets de la Seine symétrisant l’arche d'un pont.

Il passe d'un quartier à un autre, d’une rue à l’autre en captant le moindre recoin, l'esprit de chaque parisien. Toute sa vie Paris demeure au cœur de sa réflexion, le fil rouge de son travail. Dans son œuvre, on retrouve Paris, toujours Paris.

Le Paris de Brassaï, c'est son amour des pavés et des reflets de la nuit, il réussit à imprimer de façon quasi-fantastique la capitale faiblement éclairé à l'époque, avec un temps de pose très long, qu'il mesure en fumant entièrement sa Gitane.

« C'est pour saisir la beauté des rues, dans la pluie et le brouillard, c'est pour saisir la nuit de Paris, que je suis devenu photographe. » Brassaï

Telle une chauve-souris, il est toujours à la recherche d’un Paris aux mille mystères et confusions, son appareil est un filet à papillons qu’il remplit de jour comme de nuit, au cours de ses excursions dans la capitale, il dévoile Paris et ses habitants en scènes étranges et fixe l'insolite beauté des silhouettes fugitives, il n’est pas insensible à la lumière du jour ni aux gens qui sont au centre de son œuvre. Il propose une vision tout à fait personnelle des petits artisans, des marchandes de ballons, des ouvriers, des jardiniers balayant les feuilles, des amoureux, des pêcheurs à la ligne sur les quais de seine, des passants, des sans-abris, de la foule élégante de la rue de Rivoli, des badauds devant les magasins des Grands Boulevards et même des chiens.

Il met en valeur, la nuit à pas feutrés, la danse lente de la lumière, la pénombre, une personne, dans ses images c’est l’inattendu qui surgit, un être que l’on n’avait pas su voir est bien là, présent,vivant, en parvenant à rendre le peu de luminosité totalement claire. Il passe des nuits entières à observer les lieux et les gens et dans lequel il finit par se fondre avec tous ceux et celles qui font la légende de Paris.

« La nuit suggère, elle ne montre pas. Elle nous trouble et nous surprend dans son étrangeté, elle libère ses forces en nous qui dans la lumière du jour son dominées par la raison. » Brassaï

Après avoir arpenté la cité, il pousse les portes de ce décor, il entre au bal musette des « Quatre Saisons », fréquenté par les gens du milieu, s'invite au grand bal des homosexuels, ou encore au bar « Le Monocle », couru des lesbiennes, fixe l'ambiance des maisons closes, comme chez Suzy, il photographie les prostituées sur les grandes avenues, puis pénètre l’intimité des chambres d’hôtel de passe, pénètre au plus près ce monde considéré comme marginal, réalise des clichés tout en gardant leurs anonymats, de ceux qui courent tout ces endroits, pour faire exister quelques scènes, il va jusqu'à faire jouer à un ami le rôle du client.

« Je ne cherchais qu'à exprimer la réalité, car rien n'est plus surréel. Mon ambition fut toujours de faire voir un aspect de la vie quotidienne comme si nous la découvrions pour la première fois. » Brassaï

Brassaï dans la photographie ne se cantonne pas à un seul sujet, il photographie tout ce qu’il l’intéresse, des visages, la rue, des paysages et les milles aspect de la vie quotidienne, l’art et les artistes, font partie de sa vie. Ses pérégrinations permanentes dans les milieux les plus divers, lui permettre de rencontrer le Tout-Paris artistique et littéraire, il fait la connaissance des frères Prévert, de Fernand Léger, de Le Corbusier, de Salvador Dali et surtout de Pablo Picasso qui impressionné par ses photos de nuit, lui demande de photographier ses sculptures. 

« J’ai toujours refusé de me spécialiser, j’ai toujours fait beaucoup de choses, photos, dessins, sculptures, films, livres, finalement c’est aussi dur d’avoir beaucoup de talent, car chacun d’eux vous accapare. On ne peut agir que par alternance en suivant son instinct, je n’ai pas peur de me disperser, je veux être libre. » Brassai

Il ne se laisse enfermer dans une seule activité, l'ensemble de ses négatifs permet de montrer que ses images sont des reconstitutions du réel, devenues plus véridiques, plus authentiques que la réalité. Il n'est pas un pickpocket du réel mais un artiste qui construit et met en scène une œuvre, celle de sa propre vision du monde.

Il s'est toujours défendu d'avoir fait parti du groupe surréaliste, il est sensible à cette fièvre de la découverte hors des chemins battus de l'art et de la science, cette curiosité à prospecter de nouveaux gisements. Mais il trouve qu'en 1933 la révolution surréaliste, dont les rangs se sont éclaircis par les purges successives, s'est singulièrement assagie. Son assimilation au surréalisme lui parait un malentendu, les membres considérant ses photographies comme surréalistes car elles révèlent un Paris fantomatique, irréel, noyé dans la nuit et le brouillard.

« La photographie, c'est la conscience même de la peinture. Elle lui rappelle sans cesse ce qu'elle ne doit pas faire. Que la peinture prenne donc ses responsabilités. » Brassaï

Il est un sculpteur de l’image, il met en scène des volumes modelés par l’ombre et la lumière. Ses cadrages sont très travaillés en passant parfois des heures avant de prendre un cliché. Le mouvement ne vient pas de ses sujets qui sont statiques, mais du rythme du clair-obscur de la scénographie de l’exposition. Ce qu’il cherche c’est avant tout de capter l' atmosphère, de redonner une réalité sublimée et décalée. L’unité dans ses photographies provient de l’utilisation du noir et du blanc, il use comme personne d'un noir profond de l'héliogravure, et attache une grande importance au développement de ses tirages qu’il réalise lui même.

« J’ai toujours tenu la structure formelle d’une photo, sa composition, pour aussi importante que le sujet lui-même. Il faut éliminer tout ce qui est superflu, il faut diriger l’œil en dictateur. » Brassai

Flâneur nocturne, Brassaï s’intéresse dès ses débuts aux quartiers mal famés de Paris ainsi qu'à la culture populaire. Il est le premier, dans l’histoire de la photographie moderne, à penser intuitivement que l’appareil photographique est un outil de dissection de l’urbain.

« Ce que j'aime, c'est les photos où il y a un sujet très simple qui, par une saisie particulière, devient un objet de luxe. » Brassai

Les « Graffitis » : Les dessins et signes tracés ou grattés sur les murs de Paris fascine Brassaï dès le début des années 1930 jusqu’à la fin de sa vie. Il traque constamment ces expressions, leur consacrant une importante série, intitulée « Graffiti », à laquelle il travaille pendant plus de vingt-cinq ans sans relâche produisant des centaines d’images, dont certaines paraissent dans la revue du « Minotaure ».

« Le mur appartient aux demeurés, aux inadaptés, aux révoltés, aux simples, à tous ceux qui ont le cœur gros. Il est le tableau noir de l'école buissonnière. » Brassaï

Ces graffitis qu’il découvre de jour en jour, autant de griffures, de morsures dans la pierre parfaitement cadrées et modelées par les clairs obscurs. Il concentre son regard sur des dessins, signes et gribouillages inscrits sur les murs de Paris. À l’instar de ses clichés des pavés, il resserre son cadre, s’attache au détail et met en valeur un objet a priori sans importance. Sur ces murs défraichis, il y laisse courir son imagination, en découvrant des formes humaines ou animales. Avec des règles formelles établies, il entame un projet d’enregistrement systématique, constitue un catalogue, un imagier populaire, des traces laissées sur les murs par les habitants de la capitale. Il les décrit dans des carnets, note leur adresse et revient, plus tard, voir ce qu'ils sont devenus.

« Ces signes succincts ne sont rien moins que l’origine de l’écriture, ces animaux, ces monstres, ces démons, ces héros, ces dieux phalliques, rien moins que les éléments de la mythologie. » Brassaï

« Je m’intéresse à trop de choses, c’est un drame. » Brassaï

Allumettes, 1930

Des allumettes métamorphosées par un gros plan, c’est ce que Brassaï entreprend de photographier, entre 1930 et 1933, au sein d'une série intitulée « Objets à grande échelle », il le fait aussi bien avec des tickets roulés, trombones, dé à coudre, punaises, coquillages, boutons de manchette, aiguilles, deux extrémités de lacets, une bougie, une paire de ciseaux, un engrenage de montre, de la pâte dentifrice, agrégat de coton roulé, un morceau de pain et une chaise métallique. Cet inventaire visuel à la Prévert est constitué d’objets usuels, de rebuts ou autres éléments culinaires photographiés en très gros plans, comme vus à travers d'un microscope, de sorte que la différence d’échelle procède d’une transformation anamorphique.

Dans cette photographie, il place les allumettes dans une mise en scène par un processus de sculpturisation, sur un journal, flottant au dessus d’un fond clair. Une lumière latérale, traitée en clair-obscur, fortement contrastée, dissocie leurs contours, transfigure leur nature usuelle, pour lui un simple dé à coudre peux prendre l’allure d’une architecture, une paire de ciseaux se transforme en une paire de jambes de femme, et des allumettes en troncs d’arbres. Salvador Dali passionné par ce projet, sélectionne six  de ses clichés afin de les publier en décembre 1933 dans le numéro 3 de la revue du « Minotaure » sous le titre de « Sculptures involontaires ».

Deux filles faisant le trottoir, Paris, 1930

Brassai, Boulevard Saint-Jacques, Paris, Circa 1931

Hôtels, Boulevard de Clichy, Paris, 1931

La Tour Eiffel vue d'une porte du Trocadéro, Paris, 1931

Belle de nuit, Paris, 1932

Rue Quincampoix et ses hôtels de passe, Paris, c.1932

Chez Suzy, Paris, 1932

Toilette, maison de passe, rue Quincampoix, Paris, 1932

Le Ruisseau Serpente, Paris, 1932

Deux Filles dans un Bar, Boulevard Rochechouart, Paris, 1932

Café le Dôme, Paris, 1932

Couple d'amoureux dans un petit café, place d'Italie, 1932

Couple d'Amoureux et Clochard, Boulevard St Jacques, Paris, 1932

Couple, Jardin des Champs Élysées, Paris, 1932

La Bande du Grand Albert, Paris, 1932

Escalier rue Rollin, Paris, 1934

Le Rêve, Paris, c.1934

Brouillard, avenue de l'Observatoire, 1934

Le Pont des Arts dans le brouillard, Paris, 1934

Pont de Crimée, Paris, 1934

La rue de Rivoli, Paris, 1935

La Boule Rouge, Rue de Lappe, Paris, 1936

Escalier à Montmartre, Paris, 1936

Escalier Butte Montmartre, Paris, 1937

Marlène Dietrich, Angel, Paris, 1937

Maison d'André Chénier, Paris, 1939

Henri Matisse, Atelier Villa d'Alésia, Paris, 1939

Graffiti, Le Roi Soleil, Porte de St Ouen, Paris, 1948